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Ces récits environnementaux qui nous paralysent et nous mobilisent
Retour sur le colloque virtuel du 17 décembre 2020 qui a rassemblé environ 85 personnes
Il y a trois ans déjà, nous abordions la thématique des émotions lors de notre colloque Les émotions dans notre relation à l’environnement. Depuis, de formations en analyses, nous avons approfondi cette thématique. Ce parcours a débouché sur un vaste chantier lié à nos actions d’éducation relative à l’environnement, et nous voici au croisement de trois univers : les émotions, les récits et les engagements.
Le 17 décembre, lors d’un deuxième colloque, nous avons poursuivi le parcours commun en explorant le lieu de ces intersections : replacer les émotions dans nos récits, vivre le récit comme expérience de pensée et comme trame à l’engagement. Nous avons rassemblé des intervenant·es susceptibles de nourrir nos questionnements. Les récits environnementaux peuvent-ils être un refuge ou un tremplin pour nos émotions ? Les émotions un tremplin pour nos engagements ? L’espace narratif peut-il nourrir les changements dont nous rêvons ? Comment en tenir compte dans nos pratiques éducatives ? Comment démêler les liens entre crises environnementales, récits et émotions ? La journée nous a permis de mettre des mots sur ces réalités que nous rencontrons dans nos pratiques : mélange d’enthousiasme et d’angoisse suscités par les récits d’effondrement, émotions autour des mobilisations des jeunes pour le climat ou encore diagnostics de solastalgie ou d’écoanxiété qui se multiplient.
Immersion dans des récits prospectifs
Marie Bylyna, conteuse sur les sentiers et formatrice, nous a emmené à la rencontre de Sébastien et d’Anastase, au cours d’un voyage initiatique semé d’abricotiers.
Michaël Lambert, auteur et scénariste, nous a proposé le récit d’un futur proche, post effondrement, qui expose les difficultés et les solutions imaginées entre deux centres urbains déconnectés l’un de l’autre, entre lui à Liège et son amie Maria en chemin vers Bruxelles et dont il n’a pas de nouvelles.
Lisette Lombé, autrice et slameuse, a décliné une transition où se cognent l’amour et le végétarisme (à lire aussi dans Imagine).
Deux vidéos silencieuses d’Alexandra Herchaft sur la solastalgie et la dissonance cognitive ont complété ce moment d’émergence des ressentis autour des récits environnementaux.
Première table ronde : Récits environnementaux et actions transformatrices
Des récits foisonnent : textes littéraires, publicités, réseaux sociaux… parfois envahissants, parfois même angoissants, ils peuvent aussi devenir de véritables leviers pour transformer nos sociétés. Les récits environnementaux peuvent-ils devenir des ressources face aux discours dominants ? Utopie ou dystopie ? Cette première table ronde visait à replacer l’importance du récit dans les dynamiques de changement et de transition.
Intervenant·es :
- Lambert Barthélémy, maître de conférences à l’Université de Poitiers.
- Véronique Bragard, professeur de littérature anglaise à la Faculté de philosophie, arts et lettres à l’UCL.
- Jérémie Cravatte, militant actif chez Mycélium.
A partir de l’analyse du roman “La route” de McCarthy, Lambert Barthélémy a visité la dimension émotionnelle dans notre rapport à notre environnement. Ce roman post-apocalyptique met en scène l’errance d’un père et un fils dans un univers dévasté. On voit émerger dans le roman un rapport disproportionné à l’espace, non pas comme étant quelque chose de sublimé comme les beaux et grands espaces américains, mais comme une expérience négative, impossible à cartographier, totalement laissé à l’expérience émotionnelle. Le roman nous parle avant tout de transmission, la survie n’est pas qu’une opération physique. Et aussi d’espoir. L’enfant trouve une communauté d’accueil, qui n’est pas un retour à une communauté préexistante, mais une nouvelle communauté, diversifiée dans ses croyances : “Les liens sont plus importants que la survie”.
Véronique Bragard a évoqué plusieurs romans dystopiques, qui souvent génèrent des émotions paralysantes (ex. : Margaret Atwood, etc.) avec parfois des tendances problématiques (comme par exemple : Hunger Game où le gouvernement détient le pouvoir et joue un rôle néfaste alors qu’en réalité aujourd’hui ce sont les multinationales qui ont davantage de pouvoir).
Les utopies, de leur côté, même si le lecteur se rend compte que ce n’est pas possible, restent souvent visionnaires. Comme par exemple “Ecotopia”, écrit en 1978, qui raconte 1999 et qui parle de décroissance, de pouvoirs locaux, d’agriculture nationalisée, de mobilité douce, de vidéoconférence, d’énergie solaire, de respect des animaux, de jardins partagés… Ces utopies révèlent aussi une nouvelle façon d’être, plus de care ; la possession n’est plus la principale préoccupation.
Beaucoup de ces récits sont paralysants et frénétiques, mais Véronique Bragard a précisé qu’il y existe d’autres récits, plus lents et optimistes. Comme la littérature des égards qui remet en question la “manière d’être vivant”. Baptiste Morizot, par exemple, fait le constat que la crise écologique est une crise de la sensibilité : on est appauvri dans notre façon de voir et ressentir le monde, on a infantilisé et chosifié les animaux… Pour lui, il est nécessaire de réinterroger notre rapport au vivant.
Ensuite, les intervenants ont discuté avec Jérémie Cravatte, à partir des questions du public.
L’imaginaire du futur au cinéma
Frédérique Muller, de Point Culture, nous a proposé des extraits de films d’anticipation et a mis en évidence la vision de l’environnement qui y est reflétée (pour revoir le montage réalisé par Frédérique : https://vimeo.com/506075821).
Une grande place est donnée à la technologie pour nous affranchir du temps et de l’espace. L’imaginaire des films est vertical, l’homme est mis à distance du sol. Les changements environnementaux sont catastrophiques et brutaux. Les villes sont devenues dangereuses et le salut serait dans les vertes campagnes…. quand il en reste.
Le cinéma nous montre comme il est difficile voire impossible de sortir de notre trajectoire de développement, comme nous avons peine à inventer d’autres possibles. L’effondrement nous ramènerait à une période antérieure de notre histoire, un retour en arrière qu’on rejette.
Quelques films futuristes proposent des alternatives positives, mais est-ce une mission de la fiction de proposer un monde désirable ?
Deuxième table ronde : Émotions et mobilisations
S’engager pour l’environnement, c’est faire face à un foisonnement d’émotions : enthousiasme, anxiété, émerveillement, découragement… Quelles sont les émotions qui me mobilisent ? Quelles émotions mobilisent mon public ? L’écoanxiété est-elle un ressort ou un frein à l’engagement pour l’individu ? Les intervenants de cette deuxième table ronde nous ont donné des pistes pour démêler le rôle de nos émotions dans nos engagements pour l’environnement.
Intervenants :
- Sophie Hustinx, responsable artistique du projet “Dreaming the dark”, juriste, poétesse de l’envol, ecowitchfeministe.
- Jean Le Goff, militant à Alternatiba et chercheur au Laboratoire de changement social et politique, université Paris 7.
- Vincent Wattelet, écopsychologue.
- Delphine Masset, conseillère prospective chez Etopia asbl.
Dans son intervention, Delphine Masset a proposé de rouvrir le débat sur l’affirmation que l’espoir serait plus mobilisant que la peur. Selon elle, c’est l’intensité de l’émotion qui va mobiliser ou paralyser, plus que le type d’émotion. La peur encourage l’individu à enclencher une activité réflexive ; prendre conscience des catastrophes est politisant. Néanmoins, la peur peut paralyser dans certains cas. Notamment si le sentiment “d’efficacité personnelle perçue” est faible. Et cela est inégalement réparti. Cela dépend notamment de nos ressources et de nos vulnérabilités. Elle souligne par là le lien entre justice sociale et engagement environnemental.
Jean Le Goff, nous a invité à un regard réflexif : que ressentons-nous quand nous essayons de sensibiliser autrui ? La manière dont nous pensons et agissons dans notre mobilisation sur les enjeux climatique est liée à nos propres angoisses face au danger climatique. Certaines de ces angoisses sont contenues, vivables, et d’autres non. Dans nos manières de sensibiliser, nous nous défendons de nos propres angoisses et cela peut avoir des effets indésirables. Jean Le Goff relève trois posture du militant engagé dans une démarche de sensibilisation :
- Posture catastrophiste : le militant met l’accent sur les catastrophes de manière frontale comme pour secouer les interlocuteurs. Cela génère à la fois chez l’interlocuteur une défense face à l’angoisse en se focalisant sur une réalité externe et cela détourne le regard d’une réalité interne : sur ce qui se passe en nous face à ces catastrophes.
- Posture culpabilisatrice : le militant attribue à quelqu’un d’autre un sentiment qui lui appartient. Se construire une image stéréotypée de l’autre est une manière de se protéger et de construire une image stéréotypée de nous-mêmes. Le sentiment de non responsabilité est une façon d’apaiser nos angoisses.
- Posture positiviste : le militant se protège de l’angoisse car il met en avant des effets positifs.
Vincent Wattelet nous a proposé de percevoir la violence des crises systémiques à l’égard du processus de vie, et de lui répondre. Nous sommes malades d’une société malade. Face à cela, il faut faire avec l’émotion qui est là. Quand on parle des émotions et des récits environnementaux, il faut faire le deuil d’un grand récit qui emmènerait tout le monde. Il y a la nécessité d’une “honnêteté », une nécessité à se nommer soi et nommer nos propres émotions, à parler de nos cheminements personnels. Nommer, sans projeter et imposer aux autres. Cela implique aussi le non jugement, ne pas vouloir convaincre l’autre, ne pas mettre de valeurs derrière les émotions.
Sophie Hustinx a repris la citation de Starhawk – “où il y a de la peur, il y a du pouvoir” – et nous a proposé de traverser ensemble ce qui nous paralyse. La démarche “dreaming the dark”/“rêver les ombres”, sur demain le monde après la pandémie, a été mise en évidence : ce sont des rendez-vous sonores, un appel à rejoindre les imaginaires par le son, le récit. Pour elle, ce sont les multiples récits individuels qui peuvent se rencontrer pour émanciper. Pour aller dans ces récits, proposition est faite de questionner nos ombres, ces peurs que l’on rejette, d’aller chercher ce qui nous menace aussi à l’intérieur de nous, de creuser notre obscure, le nommer, puis identifier ce qu’on voudrait à la place, créer une vision, comme par magie.
Ateliers
La journée s’est clôturée par trois ateliers autour de l’écriture :
- Atelier d’écriture et pratique narrative à partir des mots glanés durant le colloque, avec Michaël Lambert.
- Atelier d’écriture slam, avec Lisette Lombé.
- Atelier de création de slogans et découverte de la nanomanifestation, avec François Laurent.
Retrouvez toutes les ressources associées à ce colloque sur https://padlet.com/Ecotopie/colloque2020
Formation en lien : https://ecotopie.be/formation/laboratoire-ecriture/