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Accompagner la construction de l’être au monde dans sa relation à l’environnement : quelles approches pédagogiques du sensible pour favoriser les comportements écocitoyens ?

Une analyse de Dominique Cottereau et Kim Tondeur - Juin 2019

De plus en plus, la place importante des émotions et du rapport sensible dans les processus d’apprentissage est reconnue par les éducateurs et sciences de l’éducation. De même que nombre d’acteur·rice·s en Éducation relative à l’Environnement (ErE) tablent sur l’idée que la multiplication d’expériences positives en pleine nature chez les enfants facilitera chez ces derniers l’engagement écocitoyen à l’âge adulte. Mais quelles approches pédagogiques l’ErE peut-elle proposer qui prennent en compte les émotions et qui facilitent en ce sens la construction de l’être au monde et l’accompagnement émancipateur des personnes ? Enfin, quelles réflexions et pistes d’actions proposer face au constat de plusieurs inégalités dans l’accès à la nature comme dans le rapport sensible à l’environnement ?

Thématiques

  • Émotions
  • Approches pédagogiques
  • Relation enfant-nature
© Dominique Cottereau

Pour penser et élaborer cette analyse, Écotopie s’est notamment tourné vers Dominique Cottereau, coordinatrice du réseau d’Éducation à l’Environnement en Bretagne et maître de conférence à l’université de Tours. De manière générale, le résultat de cette interview se retrouve dans le corps du texte où il est contrebalancé par d’autres questions ou auteurs. Parfois encore, certains passages d’interview sont mis en exergue, dans les encadrés, de manière à mieux faire ressortir certains éléments biographiques, illustratifs de notre propos, ou certaines phrases d’importance particulière à nos yeux.

La pédagogie traditionnelle : loin des sens, des émotions… et d’une responsabilisation face à la nature

Sociologue et historienne de l’éducation, Dominique Grootaers (2007) nous le rappelle sans détour : dans les écoles, l’héritage humaniste reste le socle pédagogique traditionnel autour duquel s’articule tant bien que mal la pédagogie nouvelle (active, autoconstructiviste, etc.) dans le développement de l’apprenant·e.

C’est du cartésianisme (de la pensée de Descartes) qu’il s’agit : une philosophie héritée du XVIIe siècle qui érigeait l’esprit et la déduction rationnelle comme seuls critères d’objectivité et rejetait toute expérience sensorielle et émotionnelle au rang des perturbateurs indésirables. Dans cette perspective, la raison et la pensée sont la priorité de l’éducation : se lier au monde, c’est essayer d’objectiver un savoir sur l’environnement pour pouvoir mieux comprendre et utiliser ce dernier.

Si elle a certainement ses avantages, cette approche pédagogique creuse nécessairement un fossé entre l’humain et son environnement puisqu’elle repose sur une méthode – l’objectivation – de distanciation entre la personne « je » et un objet « cela ». Un écart dans lequel se façonne une relation sans responsabilité, sans émotion et sans sensibilité pour la nature. Si bien qu’un tel modèle éducatif évacue tout simplement la question de savoir s’il faut respecter ou non l’environnement ; ce dernier est tellement éloigné des personnes en situation d’apprentissage qu’il sort tout simplement du champ de leur conscience.

Finalement, cette approche n’est pas néfaste en soi. Mais il est certain qu’elle contribue au maintien de cette posture caractéristique de notre société moderne qui est tant décriée aujourd’hui : une posture à travers laquelle les éléments de la nature sont maintenus à l’état d’objets d’études et jugés selon l’usage ou le profit qu’il est possible d’en tirer. Or c’est bien cette relation qui nous amène à épuiser les ressources de la planète et à perdre la conscience même des effets de nos actions sur l’environnement.

Il est donc nécessaire de questionner l’exclusivité de la pédagogie traditionnelle qui ne contribue pas au développement d’une relation sensible. Celle-ci est au contraire marginalisée, réservée à la vie familiale et personnelle. Or il se fait que la sphère de la vie familiale aujourd’hui se construit elle aussi de manière toujours plus déconnectée de la nature (Tandon et al. 2012). Par conséquent s’érode et s’effrite complètement la conscience de notre éco-dépendance à la planète.

Pédagogies nouvelles et éducation relative à l’environnement.

Via ses méthodes qui mettent notamment l’accent sur les expériences personnelles et de terrain, il va de soi que l’ErE s’est précisément développée en porte-à-faux de l’éducation moderne. Aujourd’hui les acteur·rice·s de terrain en ErE s’accordent sur l’omniprésence des émotions dans les pratiques éducatives et la nécessité de leur laisser une place. Mais les approches peuvent varier…

Pour Dominique Cottereau, il s’agit aujourd’hui de prendre en compte tout le versant subjectif du rapport au monde : un lien sensible qui passe par le corps sensoriel et moteur qui se déplace dans un environnement, entend, écoute, perçoit, touche… et qui est touché en retour. Une dimension qui jusqu’à la fin du XXe siècle en France et en Belgique restait mal considérée par l’éducation. Les émotions – qui nous mettent en mouvement – passent d’abord par le corps sensible : ce premier niveau de sensations entre en résonance avec un bagage de connaissances qui nous informe sur l’évènement auquel nous faisons face. In fine, notre cerveau opère ce travail émotionnel de nous mettre en relation d’empathie avec le monde extérieur.

En promouvant une pédagogie à mi-chemin entre acquisition de savoirs et découvertes sensibles de la nature, Dominique Cottereau suggère ici une piste concrète pour l’éducation des enfants en faveur de l’environnement. Selon elle, il est en effet plus efficace de créer une relation positive à la nature à travers l’alternance de méthodes rationnelles et d’approches plus subjectives.

Dans cette perspective, il ne s’agit pas de faire l’apologie de l’émotion ou du sensible, mais bien de réduire la somme de connaissances pour introduire du sensible dans les programmes scolaires, dans le but de regarder le monde qui nous entoure à la fois sous l’angle de la relation personnelle et de la connaissance cognitive. Prenons l’exemple d’un oiseau : un oiseau n’est pas uniquement un objet doté de certaines fonctions respiratoires et alimentaires, mais un être vivant avec qui on peut entrer en relation. Voir un oiseau voler peut attirer le regard, alléger le cœur ou encore donner une sensation de liberté. Tisser une relation sensible avec un oiseau va éveiller nombre d’images poétiques, anthropologiques, symboliques, etc. Dans une telle perspective, l’oiseau n’est plus un simple objet mais un acteur à part entière qui a sur l’apprenant un effet réel. Et ce qui est vrai pour l’oiseau l’est aussi pour l’arbre, la rivière, le ciel et tout ce qui peuple la nature.

Ce qui n’empêche pas de comprendre le fonctionnement de l’oiseau ou de l’arbre grâce à l’étude de leur biologie ou de leur écologie. Et si cette connaissance renseigne sur les comportements nécessaires au maintien de leurs conditions de vie, il n’y a en même temps aucun effort à fournir en ce sens puisque l’un peut désormais s’y engager dans un élan spontané, de la même manière que quelqu’un prendrait soin des ses enfants, de sa famille ou de ses proches. En créant une relation sensible avec ces êtres, on les fait entrer dans notre sphère de responsabilité et d’attention. Finalement, la connaissance nourrit les émotions et les émotions permettent d’aller un cran plus loin dans la connaissance. C’est une boucle vertueuse qui favorise une attention et une intelligence accrue dans le rapport aux autres, aux espèces non-humaines et à l’environnement.

DC : « Les enfants avec qui je travaillais en classe de mer ont pu témoigner de cette double attention au bord de mer. J’ai en tête une petite fille qui était devenue plus sensible au vent, aux vagues, aux oiseaux, et un petit garçon qui s’était sensibilisé aux animaux, à la faune de l’Estrang, à l’espace minéral : au sable, au caillou, etc. Ils manifestaient sans problème leur attachement émotionnel (à travers de la poésie très impliquée par exemple) tout comme ils pouvaient m’expliquer le fonctionnement de ces espèces. »

Et d’autres approches existent encore. Chez Écotopie, les formateurs utilisent plutôt l’approche globale de la personne qui combine bien les pédagogies rationnelle et relationnelle, mais aussi « organisée » et « intuitive ». Suivant la théorie des préférences cérébrales de Ned Hermann, ce modèle cherche à « solliciter toute l’étendue des facultés cérébrales de l’enfant ou de l’adulte en situation d’apprentissage » (le ressenti, l’imaginé, le raisonné, le formalisé) et à « toucher tous les individus du groupe que nous animons dans leurs différences psychologiques et comportementales »1.

Pour autant, nous savons que ce modèle montre aussi ses limites, en cantonnant par exemple les émotions à un seul « cadran » du cerveau lorsqu’on sait pertinemment qu’il existe aussi du plaisir à réfléchir, par exemple, ou encore à faire des découvertes scientifiques. Il y a en fait une nécessité d’adopter une perspective intégrée des émotions…

Les émotions, entre aliénation et émancipation…

Pour autant, il ne s’agit pas de se focaliser uniquement sur l’émotionnel, auquel cas le risque serait grand de basculer dans l’aliénation et non plus dans l’accompagnement émancipateur des personnes. L’aliénation passe par les émotions en émettant un ensemble de normes et prescriptions sur ce qu’il faut penser et ressentir. Tandis que l’accompagnement émancipateur met en situation d’apprendre ce qu’est le monde et laisse à l’apprenant la liberté et le plaisir de découvrir celui-ci de la manière qui lui correspond.

En éducation – populaire – à l’environnement, il apparait donc important de mettre les moments d’émotions en perspective avec d’autres approches ; notamment en donnant accès au savoir tel qu’il se construit par la science. Coupler cela à une mise en commun des expériences vécues permet au groupe de gagner en réflexivité dans son rapport à la nature.

DC : « Il est impératif que l’Education relative à l’Environnement se pose cette question. Lorsqu’on veut changer le monde, il faut choisir ses méthodes ! Or il y a ici un vrai débat philosophique à avoir : l’ErE est-elle là pour changer les gens à leur insu en utilisant et en manipulant les émotions afin de répondre à l’urgence environnementale ? Ou bien s’agit-il d’accepter l’urgence environnementale sans pour autant y succomber et faire le choix de former un grand nombre de personnes qui soient susceptibles de réfléchir par elles-même pour ensemble inventer une nouvelle façon d’être au monde ? Je me situe plutôt dans cette deuxième perspective ; raison pour laquelle je fais toujours en sorte que mes pédagogies émotionnelles soient contrebalancées et mises en alternance par des pédagogies rationnelles qui donnent aux apprenants le savoir utile au développement de leur esprit critique. »

À ce jour, les pédagogies de l’imaginaire qui stimulent le versant artistique de l’être humain restent un excellent moyen pour développer cette sensibilité dans et envers la nature tout en donnant un cadre et une limite à l’expression émotionnelle. Que ce soit via les ateliers d’écriture, la poésie ou encore le recours aux arts plastiques, il y a toute une culture de la pédagogie artistique qui nous renseigne sur la pédagogie émotionnelle. Quand on sait utiliser les techniques de libération de l’imaginaire et que l’on parvient à accompagner des publics en ce sens, on sait que l’on peut faire émerger l’expression de sentiments extrêmement forts tout comme on connait l’importance de clôturer une séquence pédagogique de manière à ce que chacun retrouve une place tranquille et sereine dans son rapport au monde.

La relation sensible à la nature, un socle pour l’écocitoyenneté ?

Parmi les acteurs de l’ErE, on postule souvent que développer dès l’enfance une relation sensible, positive à la nature renforcera à l’âge adulte l’engagement en faveur de la nature. Mais une telle affirmation est dure à vérifier empiriquement, et il n’existe pas nécessairement de suivi des publics jeunes dans le but de vérifier si nos pratiques pédagogiques ont un impact à long terme sur les comportements. Doit-on pour autant nuancer ce postulat ? Il semblerait que la réponse soit mitigée…

Pour Kollmuss et Agyeman (2010), spécialistes en politique environnementale, il n’existe pas de corrélation directe entre le savoir environnemental, les valeurs, les attitudes et l’implication émotionnelle d’une part, et les comportements pro-environnementaux de l’autre. Selon ces auteurs, ces éléments sont susceptibles de favoriser une « conscience pro-environnementale », par ailleurs ancrée avec d’autres facteurs internes (e.g. traits de caractère) ou externes (e.g. économiques) capable d’influencer les comportements, mais sans qu’il n’y ait là de lien direct de cause à effet.

Selon Chawla (1991) cependant, qui s’intéresse aux facteurs susceptibles d’impacter la « sensibilité environnementale », c’est bien les expériences en pleine nature qui influencent le plus l’enfant en ce sens ; même si d’autres facteurs interviennent à l’adolescence et à l’âge adulte.

Pour Dominique Cottereau, qui a eu l’occasion d’investiguer avec des éducateurs à l’environnement quelles étaient les sources de leur engagement, les résultats confortent l’hypothèse d’un lien : l’engagement vient toujours de cette relation sensible qui s’est développée à l’enfance. Que ce soit le souvenir de marches en montagne ou à dos d’âne, parce que le professeur de sciences naturelles organisait des sorties sur le terrain ou que le grand-père les emmenait toujours au jardin, les éducateurs interrogés avaient tous à raconter des expériences similaires.

 DC : « Étant petite, mes parents m’accordaient une grande liberté à jouer dehors, en dehors des heures d’école et une fois faits les devoirs scolaires. Je me retrouvais donc régulièrement à jouer dans la nature et dans la petite ville où j’ai grandi en compagnie de mes copains. Tous les jeudis après-midi nous étions dans la forêt, tous les dimanches nous allions nous promener, tous les étés nous étions au bord de la mer. C’est cette liberté de jeu en extérieur qui m’a éveillée à la nature et fabriqué chez moi un corps qui avait besoin de bouger. Choisir comme premier métier de devenir professeur d’éducation physique et sportive (EPS) découlait d’ailleurs d’un tel besoin. Et dès que j’avais le choix, j’emmenais volontiers mes élèves dans les parcs et forêts alentours plutôt que dans les stades et les gymnases.

C’est à cette période de ma vie que j’ai été invitée à prendre part à une association d’éducation de découverte de la nature. J’ai finalement quitté l’éducation nationale pour devenir animatrice de classe de mer pour enfants, en Bretagne. […]

Cela dit, il faut être capable de lâcher prise quand on fait de l’éducation car il est impossible de prédire à l’avance ce que quelqu’un retiendra d’une séquence pédagogique ni comment cette séquence impactera ses comportements ou son regard sur le monde. L’éducateur propose et chaque individu dispose en fonction de sa culture, de son éducation, de la vie qu’il désire mener, etc. Il est bon en tant qu’éducateur d’avoir des utopies car l’utopie permet d’être heureux au travail. Mais il faut aussi rester très humble quant à ses objectifs concrets : favoriser l’apprentissage de quelques notions scientifiques, stimuler un sentiment de bien-être dans une séquence nature, etc. On ne peut d’ailleurs évaluer que ces micro-résultats, même si l’accumulation de ces évaluations peut sans doute nous renseigner quant à l’impact plus général de l’ErE. »

Face à ces conclusions contrastées, notons tout de même ceci : le fait que des adultes, éducateurs à l’environnement, aient aujourd’hui développé une compétence écologique du fait de leurs expériences dans la nature étant enfant, cela veut dire qu’il faut redoubler de vigilance et de propositions pour emmener les enfants dans la nature. Pour développer un sentiment de responsabilité et d’empathie envers d’autres êtres humains comme non-humains, il faut avant tout les rencontrer ! D’où l’importance des éducateurs à créer du lien avec les espèces alentours et à dépasser les quelques brins d’herbes qui poussent entre deux pavés de la ville.

Les réalités géographiques et sociales, sources d’inégalités dans la relation sensible à la nature ?

Dans une telle démarche, il importe évidemment d’apporter une attention particulière aux différences géographiques et sociales en termes d’exposition à la nature et à une Éducation relative à l’Environnement, d’une part, mais aussi dès lors en termes de capacité – socialement et culturellement construite – à vivre les expériences de nature comme positives.

Nous ne sommes pas tous égaux dans notre rapport à la nature et chacun, du fait de sa trajectoire personnelle et sociale, est susceptible d’apprécier différemment l’exposition à différentes formes de nature. Ne faudrait-il donc pas reconnaitre (pour mieux les combattre), in fine, des différences et des inégalités d’accès à de possibles expériences mobilisatrices et émancipatrices sur le plan de la relation à la nature et à l’environnement ?

Le contraste entre ville et nature vient communément à l’esprit à cet égard. Pourrait-on penser que les habitants des grandes villes les moins exposés à la nature « sauvage » dans leur vie quotidienne soient moins susceptibles d’éprouver plaisir et intérêt lors d’une expérience en pleine nature ? De tels publics sont-ils pris dans des schèmes d’injustice à cet égard ?

Pourtant, l’opposition ville-campagne n’est peut-être pas si pertinente de nos jours (l’a-t-elle jamais été ?). De plus en plus de villes aujourd’hui – celles qui en ont les moyens en tout cas – tentent de réintroduire des espaces de nature dans le tissu densifié. Or il est possible d’utiliser ces espaces et les êtres-vivants dont ils sont peuplés pour faire de l’ErE de proximité et éviter de n’être que dans l’éducation de voyage.

Mais il est vrai qu’il existerait par contre, au sein même des villes, un accès différencié à la nature qui varierait selon les conditions sociaux-économiques (notamment par quartiers ; Shanahan et al, 2014).

DC : « il est certainement plus compliqué de développer une relation sensible avec un environnement bruyant et pollué qu’à la mer ou à la montagne. Ma conviction personnelle est qu’il faut articuler une ErE de proximité et une ErE de voyage. Après tout, la diversité de la nature à laquelle il faut éduquer ne trouve pas à s’exprimer en un seul endroit. »

Par ailleurs, force est de constater qu’en Belgique, les établissements scolaires à pédagogie alternative qui promeuvent un rapport sensible à la nature s’adressent souvent à un public très restreint, que l’on dirait « privilégié ». Pour des raisons qui sont à étudier, ces écoles ne semblent pas encore accessibles à toutes et tous.

Conclusions : 3 axes de travail pour recréer le lien sensible à la nature

Pour faire face aux défis évoqués ci-avant (la diminution des expériences de nature et l’accès inégalitaire à la nature et aux perspectives d’émancipation environnementale), 3 réflexions, 3 axes de travail émergent de notre travail d’analyse (et d’autres seraient certainement pertinents aussi !).

Il s’agit avant tout de refonder une éducation de tous, à, pour et par la nature. Les problématiques évoquées dans l’accès à de nouvelles formes de pédagogies plus en phase avec la nature et à l’écoute de celle-ci montrent qu’on ne résoudra pas le manque de nature en créant de nouvelles écoles pour ceux qui peuvent se le permettre. Les classes de découverte, c’est à l’école que ça se passe, dans tous les établissements publics comme privés. Ce sont justement les moins favorisés – qui n’ont pas les moyens de se retrouver en nature le dimanche ou pendant les vacances – qui ont le moins conscience que la nature puisse être source de bien-être. Ces publics ne peuvent être laissés sur le carreau : c’est l’enseignement officiel qu’il faut transformer car créer une relation positive avec la nature implique aussi de s’en donner le temps. Il faut donc aussi alléger les programmes et augmenter d’un même jet cette part d’éducation par le sensible, par l’imaginaire, etc. Il faut donner aux enfants cette occasion d’aller jouer dans les bois, dans le sable, avec l’eau, avec les branches, de faire des cabanes… Plutôt que de faire une cabane sous la table de la maison avec trois couvertures et des bouts de ficelle, allons faire des cabanes avec des branches. Il s’agit de répondre aux même besoins fondamentaux de l’enfant tout en sortant du cadre de la maison et de la ville.

Mais promouvoir la part d’éducation par le sensible n’implique pas uniquement de repenser les programmes d’enseignements officiels : il s’agit aussi de rester alertes et vigilants quant à l’évolution de nos propres pratiques. L’histoire de L’Éducation à l’Environnement en France (est-ce bien différent en Belgique?) est un cas parlant à ce sujet. Issue des classes de découverte et des associations de protection de l’environnement, l’éducation à l’environnement était avant tout et surtout une éducation dans la nature. Petit à petit, avec notamment l’avénement du concept de développement durable, se sont développés des outils qui permettaient d’intervenir directement dans les classes pour aborder ces problématiques plus complexes. De même qu’apprendre à trier ses déchets pouvait se faire en classe sans aucun besoin d’aller dans la nature, etc. Ce n’est que progressivement que nous nous sommes aperçus avec inquiétude que nous participions à ce mouvement d’une société qui ne va plus dehors… Nous devons nous questionner sans cesse.

Enfin, parmi ces nécessaires questionnements, celui du bien commun est central aujourd’hui. Reste-t-on une éducation qui donne aux citoyens le pouvoir d’agir et de construire ce pouvoir collectivement ? Si le travail émotionnel et la relation sensible à la nature opèrent au niveau de l’individu, l’ErE ne peut se contenter de mettre l’accent sur le bien-être personnel que peut procurer une relation harmonieuse à la nature. Lorsqu’on parle de rapport à la nature, il s’agit aussi de réfléchir ensemble à la société telle qu’on voudrait la fabriquer. Sans fusionner ces différentes sphères, il faudrait toujours travailler avec les publics l’importance de la personnalisation, de la socialisation et de l’écologisation.

 

Dominique Cottereau & Kim Tondeur

Note

    1. Sur La théorie du cerveau global de Ned Hermann (et d’autres approches psychopédagogiques de l’apprentissage), voir notamment la publication de l’IEP, « Histoire de cerveau » (www.institut-eco-pedagogie.be/spip/IMG/pdf/Cerveaux.pdf), ainsi que notre fiche outil : « servofiche ».

Pour aller plus loin

Grootaers, D., 2007. « Les deux grands courants de la pensée pédagogique orientant l’institution scolaire », META Atelier d’histoire et de projet pour l’éducation, pp. 1-17.

Kolmuss, A. et Algyeman, J., 2002. « Mind the Gap: Why do people act environmentally and what are the barriers to pro-environmental behavior? », Environmental Educational Research, 8 (3), 239-260.

Shanahan et al, 2014. « Socio-economic inequalities in access to nature on public and private lands: A case study from Brisbane, Australia », Landscape and urban Planning, 130, pp. 14-23.

Tandon P.S. et al. 2012. « Frequency of Parent-Supervised Outdoor Play of US Preschool-Aged Children », Arch Pediatr Adolesc Med. 2012;166(8):707–712. doi:10.1001/archpediatrics.2011.1835

www.institut-eco-pedagogie.be/spip/IMG/pdf/Cerveaux.pdf

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