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La jeunesse se bouge les fesses et remet du débat dans la cité !

Une analyse de Gil Lenders - Mars 2019

  • Icone de thématique Écomilitance

Depuis ce mois de janvier, chaque jeudi, des milliers puis des dizaines de milliers d’écolier·e·s belges, rejoints plus tardivement par des étudiant·e·s, brossent les cours et manifestent pour que des mesures ambitieuses soient mises en place contre le réchauffement climatique. Quel intérêt d’étudier pour se construire un avenir si celui-ci se dessine dans un monde qui risque simplement de ne plus être viable, clament-ils. Clament-elles, devrais-je dire : ce mouvement, ainsi que ses antécédents et équivalents dans d’autres pays, a été à chaque fois amorcé par des jeunes filles. Peut-on se risquer à analyser à chaud ce mouvement « plus chaud que le climat »1, sans prétendre savoir mieux que les jeunes d’où vient leur engagement et ce qu’elles et ils devraient en faire ?

Thématiques

  • Mobilisation climat
  • Politiser l’écologie
  • Apprentissage de l’engagement
© Clément Bastin

Début décembre déjà, une petite centaine de milliers de personnes se rassemblaient à Bruxelles pour demander au gouvernement belge des prises de position fortes contre le changement climatique, à la veille de la 24e conférence des parties à Katowice en Pologne (COP 24). Mais dans les jours qui suivent, la Belgique se permet de ne pas y ratifier l’accord obtenu… pourtant soutenu par l’union européenne, instance qu’on peut difficilement considérer comme radicale sur ces questions. Une autre manifestation s’en est suivie fin janvier, et d’autres encore sont prévues à l’avenir. Mais malgré la grande affluence qu’elles ont connue, leur impact est probablement amoindri par le côté assez « classique » du dispositif : défilé le dimanche, à l’appel d’organisations reconnues, rassemblant un public plutôt familial ou de militants modérés.

« Fin du monde, fins de mois…. »

Ces diverses mobilisations pour le climat, qui s’inscrivent dans la lignée d’une vague déjà ancienne, ont pris un coup d’accélération alors qu’émergeait au même moment, en France, le mouvement des gilets jaunes, relativement inédit celui-là. Il prend racine surtout dans des populations que l’on n’a pas l’habitude de voir dans les mouvements contestataires depuis de longues décennies. Les médias traditionnels ont, dès le départ, tenté de décrédibiliser ces rassemblements de protestation. D’abord en les présentant comme liés à l’extrême-droite, ensuite en focalisant sur les violence commises par les manifestants sans montrer celles de la police. Mais les médias ont aussi tenté d’opposer le mouvement des gilets jaunes aux militants pour le climat, en soulignant que les gilets jaunes se sont en premier lieu soulevés contre une taxe qui se prétendait à visées écologiques. Il semblerait pourtant que cette tentative de mise en concurrence des causes et revendications de ces mouvements soit en train d’échouer. Même s’il est beaucoup plus marginal qu’en France, le mouvement belge des gilets jaunes tend en tous cas à converger avec celui pour le climat (alors que cette convergence semble moins unanime du côté français).

Il existe au moins un lien clair entre le mouvement pour le climat et les gilets jaunes, au niveau du rapport entre le changement des comportements individuels et les transformations des mécanismes structurels de notre société. Très nettement, nos gouvernements sont soumis à la logique du néolibéralisme mondialisé, que ce soit volontairement ou non. Leur tendance à déconstruire les services publics et les mécanismes de régulation des entreprises va de pair avec une individualisation des responsabilités, tant en matière d’accès aux ressources pour vivre dignement que sur les efforts à faire au niveau écologique2. Une responsabilisation culpabilisante qui est davantage dommageable pour les populations les plus défavorisées. Et les mouvements de contestation actuels s’opposent bien à ces tentatives de faire porter sur les comportements individuels la grande majorité des actions en terme social (chez les gilets jaunes) ou environnemental (chez les jeunes pour le climat).

Les tentatives d’opposer ces mouvements, pourtant favorisés par la différence des classes sociales et culturelles qui les portent respectivement, semblent heureusement ne pas avoir l’impact escompté. Difficile de savoir pour l’instant si elles mettront en difficulté le rapprochement de ces luttes, même si elles échouent à les monter l’une contre l’autre. Pourtant il semble aujourd’hui assez évident que justice environnementale et justice sociale sont intimement liées. Déjà aujourd’hui, les conséquences du réchauffement climatique et les divers problèmes de pollution, de déforestation, de difficulté accrue d’accès à l’eau potable etc. pèsent sur les populations les plus défavorisées du globe. Même dans nos régions tempérées, où ces problèmes sont encore peu visibles, leurs conséquences touchent et toucheront surtout les plus pauvres3. Or ce sont les classes riches qui polluent le plus, tant par leurs comportements individuels qu’au travers des entreprises qu’elles possèdent.

Remettre du politique dans les questions d’écologie

Dans les différentes mouvances qui se donnent comme objectif de faire évoluer nos sociétés vers des modèles qui ne mettraient pas en péril l’équilibre écologique planétaire, on peut distinguer trois grandes tendances. La première cherche à permettre que le système en place se perpétue, en l’amendant sans remettre en question les principes de la croissance, de la financiarisation de l’économie, du couple productivisme-consumérisme et de la fuite en avant technologique (fondant d’ailleurs tous ses espoirs de statu-co sur cette dernière). C’est cette tendance qui a la plus grande visibilité dans les médias traditionnels et la plus grande influence chez les décideurs politiques. On peut sérieusement douter de sa crédibilité en matière de défense du bien commun, elle protège essentiellement des intérêts économiques, des intérêts de classe. La seconde met en doute certains mécanismes structurels de notre société, tend vers des changements importants de nos modes de vie, mais s’abstient, souvent pour des raisons stratégiques, de se déclarer ouvertement anticapitaliste. Ces courants de pensée et les mouvements qui les accompagnent se veulent le plus inclusifs possibles pour mobiliser le plus grand nombre et évitent donc tout positionnement qui pourrait être considéré comme politiquement partisan. La troisième tendance déclare ouvertement que la situation actuelle et les dangers futurs sont les conséquences du capitalisme financiarisé et globalisé, tant en matière de climat et d’autres problèmes écologiques qu’en matière d’inégalité sociale et de
souffrance humaine. Ce point de vue, longtemps relégué dans une marge peu visible, semble aujourd’hui retrouver plus l’audience et de crédibilité.

Le mouvement des jeunes pour le climat, même si ces derniers se revendiquent apolitiques et refusent qu’apparaissent dans leurs manifestations tout signe d’appartenance « partisane », contribue à remettre du politique dans les questions d’écologie. Celles-ci étaient devenues l’apanage des partis et mouvements écologistes et parfois réduites à des manoeuvres politiciennes (électoralistes pour les uns, lobbying pour les autres). Les jeunes grévistes scolaires remettent ces questions au coeur des débats de société et les invitent autant sur la scène médiatique que dans les conversations privées, remettant du débat, voire de la conflictualité, dans la cité. Quand le discours dominant se focalise sur les mesures individuelles pour réduire l’impact anthropique sur la nature, ils soulignent que cela ne peut suffire et que des mesures fortes doivent être prises pour bouleverser les mécanismes structurels de notre société qui entrainent l’écocide en cours. Ils ne proposent pas de solution toute faite, peut-être par excès de modestie à force de s’entendre dire qu’ils n’ont pas la maturité nécessaire à comprendre globalement de tels enjeux. L’école s’étant employée à les convaincre qu’on ne peut aborder un champ de savoir qu’en se référant à ses experts, ils demandent surtout que soient écoutés les avertissements alarmés des scientifiques du GIEC et d’en tirer les conséquences.

Critiques politiques du mouvement des jeunes…

Depuis la première grève scolaire de janvier, les critiques pleuvent sur la naïveté et l’inconséquence de ces jeunes, sur leur manque de réalisme face à des problèmes politiques complexes et sur le danger qu’ils font courir à leur parcours scolaire et donc à leur avenir. Les ministres qu’ils interpellent laissent transparaître leur malaise par le message ambigu qu’ils font passer. Marie-Christine Marghem en particulier, ministre fédérale du climat, de l’environnement et du développement durable : elle s’est jointe à la manifestation du 2 décembre (qui était menée entre autre contre sa politique) juste avant de se dissocier des ambitions européennes en matière d’efficacité énergétique et d’énergie renouvelable à la COP24 ; elle s’est déclarée encouragée dans ses actions par la mobilisation des élèves mais préfèrerait qu’ils manifestent à un moment où ils ne devraient pas être en classe ; elle déclare entendre leurs revendications (qui, rappelons-le, demandent des mesures structurelles) mais aimerait qu’ils se rendent compte des mesures prises, citant en particulier les « coach climat » envoyés dans les écoles et le site « my2050 », qui devraient permettre aux élèves « chacun individuellement de voir quels sont les efforts que chacun peut faire pour diminuer sa consommation et ses gaz à effet de serre »4. Bien sûr, elle n’est qu’un exemple parmi d’autres, ministres, directions d’écoles, professeurs, éditorialistes etc. qui émettent des conseils paternalistes aux jeunes pour les enjoindre à ne pas compromettre leur futur en séchant l’école. Il n’ont pas dû bien comprendre le message principal du mouvement : « À quoi bon aller à l’école si demain notre monde est détruit ? ».

Comme tout mouvement contestataire d’une certaine ampleur, dès lors qu’il se veut inclusif, la mobilisation de la jeunesse (et les moins jeunes qui marquent leur soutien) est composée de courants différents qui ont trouvé un socle commun de revendications. Au fur et à mesure de l’extension de cette vague qui continue à grandir, sa galaxie se complexifie et agrège différentes organisations, engagées de longue date dans ces luttes environnementales ou créées récemment, ayant un statut d’ASBL, d’ONG, relevant du mouvement citoyen ou autre forme de structure formelle ou informelle. Le mouvement « Youth for Climate », qui a été le déclencheur des grèves scolaires du jeudi, a été initié par Anuna de Wever et Kyra Gantois, inspirées par l’action de Greta Thunberg, jeune suédoise qui a entamé seule une grève scolaire hebdomadaire.

Rapidement médiatisée, cette dernière a marqué les esprits par ses prises de paroles alarmistes à la COP24 et au dernier forum économique de Davos, ou elle fustigeait l’immaturité des adultes face à la menace climatique et déclarait « je veux que vous paniquiez ! »5. Elle fut critiquée, bien entendu par les climato-sceptiques, mais également par ceux qui considèrent qu’aucune action écologique réelle ne peut être efficace sans sortir du capitalisme, qui l’accusent d’être manipulée par des personnes qui prônent un capitalisme vert6. Comme d’autres militant·e·s et penseur·ses·s de la cause écologique elle est soupçonnée de servir ceux qui, par intérêt ou par aveuglement, prétendent résoudre les problèmes par le développement « durable » de technologies « vertes ». Elle répond, je pense sincèrement, à ces critiques pour les désamorcer7, sans démentir les déterminants sociaux qui ont fait sa notoriété médiatique, mais qui ont aussi délimité le cadre de son système de pensée. Elle semble de bonne foi quand elle dit que les choix de son engagement et de son mode d’action sont pris de manière indépendante et qu’elle ne représente qu’elle-même.

De manière similaire, des accusations de manipulation par Greenpeace ou d’autres organisations ou associations furent portées sur « Youth for Climate ». Ils furent traités de brosseurs ou appelés à regagner leurs classes par certains ministres, voire menacés d’être sanctionnés pour leurs jours d’absence (même si la ministre de l’enseignement en Fédération Wallonie-Bruxelles a finalement décidé que ces absences seraient bien comptabilisées mais ne pourraient donner lieu à la perte du statut d’élève régulier ni à une interdiction de passer les examens8). Des accusations maladroites de la ministre flamande de l’environnement, qui en faisait les marionnettes d’un complot, sois-disant sur base d’informations données par la Sûreté de l’État, occasionnèrent même sa démission. De nombreuses structures défendant des causes environnementales apportent un soutien moral et logistique au mouvement, mais sans pour autant chercher à les influencer9. Pourquoi ces jeunes ne pourraient-ils pas penser et agir par eux-même ? De notre état d’adultes insérés dans les rouages de la société, « Que savons-nous de cette expérience qui est la leur : grandir dans un monde mourant ? »10

…et soutiens militants

Bien entendu, cette mobilisation des jeunes pour une juste cause attire des sympathies nombreuses et, même au sein des différents gouvernements du pays, a reçu des marques de soutien, mais elles sont souvent assorties de conseils paternalistes et on peut parfois douter de leur sincérité. À l’inverse, toutes les critiques qu’essuient les jeunes ne sont pas destinées à décrédibiliser le mouvement, certains veulent en souligner les contradictions dans un esprit constructif11. On peut douter que ces manifestations créent réellement un rapport de force susceptible de faire changer radicalement les politiques en la matière. On peut craindre également que des revendications trop consensuelles n’offrent l’occasion aux gouvernement de valoriser des mesures qui resteraient trop peu ambitieuses. On peut enfin considérer que de rester dans une position de demande par rapport aux autorités en place ne permettra jamais de transformer les paradigmes viciés de notre société.

La grève et la rue, lieux d’apprentissage collectif d’un engagement politique ?

Mais ceux qui formulent ces reproches ont souvent une longue expérience dans la militance, une vision politique murement construite et une connaissance historique des mouvements sociaux que ne peuvent avoir acquis des écoliers et des étudiants. Et où acquiert-on cela ? Ni à l’école, ni sur les réseaux sociaux, mais bien dans des assemblées, des manifestations, des discussions entre militants. Dès le départ, les jeunes grévistes se mobilisent pour réclamer des mesures structurelles qui dépassent les solutions individualistes des petits gestes12, ils se rassemblent dans les rues, se réunissent pour rendre ces rassemblements possibles, se confrontent à des organismes divers pour trouver des points de convergence et des actions communes ou au contraire signifier leurs désaccords et en débattre. Il créent du collectif et, malgré un côté consensuel, du conflit constructif. On entend déjà poindre l’envie de trouver des modes d’action plus créatifs que la manifestation13. Ils se confrontent à la normalisation des médias dominants et apprennent à fabriquer leurs propres médias. En bref, ils sont en train d’apprendre à défendre des idées et des valeurs et entraînent d’autres générations à le (re)faire.

Conclusion : explorons ensemble des idées créatives face à un avenir incertain !

Que pourrait faire le milieu de l’éducation relative à l’environnement dans ce contexte, qui puisse contribuer utilement à ce mouvement et à l’avenir des jeunes ? Quelle attitude adopter face à eux, qu’a-t-on à leur proposer ? À mon sens, tout d’abord d’être justement dans la proposition. Sortir de la position de celui qui sait (que savons-nous de l’avenir qui les attend ?) pour explorer avec eux des savoirs utiles dans leur rapport au monde actuel, mais surtout des idées créatives sur le nouveau rapport à construire avec ce qu’il deviendra. Il s’agit de mettre en doute l’idée de les « animer » par des activités bouclées et minutées pour réfléchir avec eux à ce qui les amine. Il me semble urgent de prendre les enfants, adolescents, jeunes de tous les milieux comme des « interlocuteurs valables »14, tout aussi capables que nous de penser le monde, la nature et notre place dans celle-ci. Nous ne pouvons plus prétendre leur « apprendre une attitude », il convient d’apprendre avec eux l’attitude que nous devrons adopter collectivement dans un avenir incertain.

Gil Lenders

Notes

  1. Le slogan principal des rassemblements récents sur ces questions et en particulier des manifestations d’écolier·e·s est « On est plus chauds… plus chauds… plus chauds que le climat ! »
  2. cf. notre dernière analyse : « Les jeunes pour le climat. Vers un renouveau politique ? » : http://institut-eco-pedagogie.be/spip/spip.php?rubrique103
  3. Lire à ce propos R. Keucheyan, La nature est un champ de bataille, éd. Zones, Paris, 2014
  4. https://www.youtube.com/watch?v=bWJ1vzhntBQ, consulté le 2/03/2019
  5. Discours à la COP24: https://www.youtube.com/watch?v=Bypt4H8K5dI; discours à Davos : https://www.youtube.com/watch?v=b6ZFOxVqpRg, consultés le 2/03/2019
  6. http://partage-le.com/2019/01/quelques-remarques-sur-greta-thunberg-et-extinction-rebellion-par-nicolas-casaux/, consulté le 2/03/2019
  7. https://reporterre.net/La-jeune-militante-du-climat-Greta-Thunberg-repond-a-ses-detracteurs, consulté le 2/03/2019
  8. https://www.lesoir.be/213125/article/2019-03-19/le-jeune-qui-marche-pour-le-climat-ne-perdra-pas-sa-qualite-deleve-regulier?referer=%2Farchives%2Frecherche%3Fdatefilter%3Dlastyear%26sort%3Ddate%2520desc%26word%3D%2520climat%2520schyns%22, consulté le 20/03/2019
  9. https://www.lesoir.be/205814/article/2019-02-09/anuna-de-wever-au-soir-aucune-organisation-ou-association-ne-nous-conseille, consulté le 11/03/2019
  10. Selon la formule d’un collectif de professionnels de l’éducation, https://plus.lesoir.be/204953/article/2019-02-05/enseignement-et-climat-prendre-ensemble-le-risque-de-reussir, consulté le 15/03/2019
  11. Par exemple: http://www.kairospresse.be/article/lettre-ouverte-aux-grevistes-pour-le-climat-et-autres-manifestants-ce-sera-radical-ou-rien
  12. Pour une piqure de rappel à ce propos, lire ou relire le texte de Derrick Jensen: http://partage-le.com/2015/03/oubliez-les-douches-courtes-derrick-jensen/
  13. Manifestations dans lesquelles ils se sont déjà démarqués par une originalité et un foisonnement créatif dans leurs slogans et pancartes.
  14. Jacques Lévine, L’enfant philosophe, avenir de l’humanité ?, ESF, 2008

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