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La prévention de l’incivilité environnementale : quels enjeux éducatifs pour le secteur socioculturel ?

Une analyse de Christine Partoune - Décembre 2018

Nous proposons dans cette analyse d’interroger la place des acteurs socioculturels du secteur éducatif dans la prévention des incivilités environnementales. Pour ce faire, nous avons revisité cette problématique à la lumière des fondements de l’éducation relative à l’environnement, qui constituent notre identité en tant que formateurs à l’Institut d’Eco- pédagogie et nous avons tenté de modéliser les enjeux éducatifs à articuler pour composer une stratégie pédagogique cohérente avec ces fondements.

Thématiques

  • Incivilité environnementale
  • Modèle didactique
  • Écocitoyenneté

Contexte

Les « incivilités environnementales » sont devenues un phénomène crucial qui bouleverse et questionne le vivre ensemble, non seulement chez nous, mais partout dans le monde (voir à ce sujet l’analyse « Quels sont les enjeux sociétaux des incivilités environnementales ? [1] »). De nombreuses actions de sensibilisation sont entreprises par les pouvoirs publics, par des enseignants et par les associations environnementales.

Nous proposons dans cette analyse d’interroger la place des acteurs socioculturels du secteur éducatif dans la prévention des incivilités environnementales. Pour ce faire, nous avons revisité cette problématique à la lumière des fondements de l’éducation relative à l’environnement, qui constituent notre identité en tant que formateurs à l’Institut d’Eco-pédagogie et nous avons tenté de modéliser les enjeux éducatifs à articuler pour composer une stratégie pédagogique cohérente avec ces fondements.

Un modèle didactique pour clarifier les visées éducatives d’une animation

L’incivilité environnementale porte atteinte au vivre ensemble dans un environnement donné, et concerne donc l’écocitoyenneté, en référence à l’idée d’environnement – en particulier les espaces publics, comme lieu de vie partagé.

Afin de soutenir les animateurs dans la conception de leurs projets destinés à prévenir les incivilités environnementales, nous avons modélisé les enjeux éducatifs à articuler pour composer une stratégie pédagogique cohérente avec les fondements de l’éducation relative à l’environnement. Le résultat est présenté sous forme d’un conceptogramme (fig. 1) autour d’un enjeu central – éduquer à l’écocitoyennenté responsable -, auquel viennent s’articuler cinq axes qu’il est possible d’ordonner de différentes façons sur le plan chronologique :

aimer – envie de protéger – prendre conscience – analyser et critiquer – agir
Fig. 1. Éduquer à l’écocitoyenneté responsable : un conceptogramme pour aider à clarifier les enjeux d’une stratégie globale d’éducation à l’écocitoyenneté responsable.

L’on retrouve, dans ce schéma, un des piliers de l’éducation contemporaine, qui est de considérer la personne à « éduquer » dans sa globalité : elle est en même temps quelqu’un qui réfléchit, qui ressent des émotions, qui éprouve des sentiments et qui a des besoins fondamentaux comme le fait de se sentir de quelque part ; elle est aussi quelqu’un qui a besoin de se réaliser, de créer, de s’exprimer, de trouver sa place en ce monde et d’y donner du sens. Sa relation à l’environnement et au monde qui l’entoure en général est conditionnée par sa relation à lui-même et aux autres, dans des contextes qui forgeront progressivement sa sensibilité, ses capacités de raisonnement et son système de valeurs.

La phase « aimer » vise à développer un sentiment d’appartenance au milieu de vie, en particulier à l’égard des espaces publics. Nos rues et nos places livrées à la circulation automobile sont devenues indifférentes à nos yeux, même lorsqu’elles possèdent des qualités indéniables au niveau du bâti ou de la conception urbanistique : elles ont besoin, pour être adoptées par les citoyens, que naisse chez ces derniers un sentiment d’attachement suffisamment fort. L’ancrage dans le territoire passe bien évidemment par les relations interpersonnelles et par les activités que l’on y mène, mais ce qui manque souvent, c’est une bonne connaissance des richesses patrimoniales naturelles et culturelles de l’endroit où l’on vit. La sensibilisation à la poésie ou à la signification des lieux ordinaires devrait conduire à les sortir de l’anonymat et à en apprécier autrement la valeur.

La phase « envie de protéger » découle de la précédente. C’est le principe de base de l’opération « j’adopte un paysage », proposée par Inter-Environnement Wallonie. Cela implique notamment de travailler la capacité à entrer en empathie avec les atteintes au milieu naturel, avec la vie sur terre en général, et d’en saisir toute la fragilité. C’est relativement aisé avec les grands mammifères, c’est moins facile avec les plantes ou les insectes.

La phase « prise de conscience » concerne évidemment les impacts environnementaux et sociaux des incivilités environnementales, qui sont pour partie ignorés, ou qui laissent indifférent.
Elle porte aussi sur la gravité des sanctions encourues par les contrevenants, qui est souvent sous-estimée. Ceci est notamment dû au fait que la tolérance à l’égard de certains comportements évolue avec le temps dans un sens plus restrictif, ou que des comportements usuels dans certains milieux et circonstances donnent à penser que c’est admissible ailleurs.

La phase « analyser et critiquer » peut s’adresser à différents aspects de la problématique : les valeurs et les normes dans une société donnée ; les causes et les conséquences des comportements délinquants ; l’analyse des responsabilités directes et indirectes ; le fonctionnement des institutions concernées (justice, police, …) ; la façon dont les espaces publics sont aménagés et équipés ; …

La phase « agir » peut porter sur la réparation ou la protection de l’environnement, sur la sensibilisation de différents publics-cibles, ou encore sur l’adoption de comportements différents.

Visées éducatives selon la vision de l’environnement

Les visées éducatives et les choix méthodologiques sont propres à chaque situation, à chaque public, à chaque contexte d’intervention et au cadre fixé pour une animation de deux heures ou pour une succession d’animations dans un projet plus large. Elles vont également dépendre de la vision de l’environnement que l’on souhaite privilégier.

Pour ce qui concerne la problématique des incivilités environnementales, en nous basant sur le conceptogramme ci-dessus, nous avons approfondi les visées éducatives de trois visions de l’environnement qui peuvent être envisagées : les incivilités qui dégradent le cadre de vie, celles qui génèrent des problèmes pouvant affecter l’écosystème ou la santé des êtres vivants, et enfin celles qui portent atteinte à l’environnement en tant que ressource économique (fig. 2).

Fig. 2. Différentes visions de l’environnement concernées par les incivilités

Apprendre à aimer, dans l’espoir de donner l’envie de protéger

Comme visées éducatives pour les incivilités portant atteinte à l’environnement-cadre de vie, nous aurions tendance à privilégier celles qui se situent dans le courant humaniste, centré sur le développement personnel de l’élève et sa socialisation. L’enjeu majeur serait le développement d’un sentiment d’appartenance des personnes avec leur milieu de vie, qu’ils utilisent ou parcourent le plus souvent sans vraiment le connaitre, l’apprécier, l’aimer.

Pour ce faire, les animateurs en éducation relative à l’environnement peuvent valoriser leur arsenal d’activités relevant des approches sensible, affective et créative orchestrées au départ d’une découverte du milieu, sur lesquelles se grefferont des informations susceptibles d’intéresser le public visé. Ce type de démarche commencerait donc par la phase « aimer », dans l’espoir de donner « l’envie de protéger » le cadre de vie. On peut aussi saisir une opportunité comme l’opération annuelle « grand nettoyage de printemps » pour entamer la phase « analyse critique » en réalisant un diagnostic propreté dans le quartier, avant de s’engager dans l’action.

Prendre conscience puis réparer ou agir autrement

Les visées éducatives ayant pour objectif de prévenir les incivilités ayant des impacts sur la santé de l’environnement et des humains (l’environnement-problème) devraient s’attacher, dans la mesure du possible, à développer des habiletés de résolution de problèmes après une phase de prise de conscience, ce qui prend davantage de temps. La seule prise de conscience de ce qui se passe, même en employant des documents susceptibles d’émouvoir le public visé (c’est la « stratégie du choc ») n’est en effet pas suffisante, et en tout cas rarement de nature à générer les changements de comportement attendus, quels qu’ils soient ; elle peut même s’avérer contre-productive avec certains publics, quand l’effet psychologique de la découverte des « horreurs » faites aux êtres vivants en arrive à exercer un véritable pouvoir d’attraction les conduisant à traquer sur le net les images les plus « trash » possibles. En outre, le sentiment d’impuissance face à l’ampleur des problèmes dénoncés peut aussi alimenter un certain fatalisme.

Une démarche pédagogique cohérente centrée sur l’environnement-problème sera à la fois cognitive, affective et pragmatique. L’approche systémique et complexe des problèmes environnementaux constituera la colonne vertébrale de l’analyse critique. Les animateurs socioculturels veilleront aussi à susciter une mise en projet des citoyens pour définir une action concrète qui donne de l’espoir et du sens, dans leur milieu de vie si possible, ou ailleurs, dans des chantiers participatifs, en attirant leur attention sur l’importance de mobiliser d’autres personnes autour d’eux, pour que les efforts accomplis ne soient pas un feu de paille décourageant.

Analyser et critiquer pour agir en faveur de l’environnement

Quant aux visées éducatives liées aux incivilités portant atteinte à l’environnement-ressource, elles sont clairement behaviouristes [2] de prime abord pour les victimes directes des impacts sociaux et économiques qui les affectent : il s’agit d’amener les responsables directs à adopter des comportements « softs » visant à dégrader le moins possible le milieu, et de convaincre les responsables indirects qui organisent des activités dans l’environnement de mettre en place des mesures de prévention afin de minimiser l’impact de ces activités sur le milieu.

Le milieu associatif socioculturel peut aussi faire son autocritique en évaluant dans quelle mesure les évènements qu’il organise sont conçus pour prévenir les incivilités environnementales dans les lieux où ils se déroulent. Il peut aussi apporter son concours en initiant ou en soutenant logistiquement et pédagogiquement des actions militantes de protection de l’environnement.

Les approches seront d’ordre cognitif, éthique et pragmatique. Par exemple, après avoir réalisé un audit environnemental, la phase « analyser et critiquer » conduit à réfléchir aux « actions » à entreprendre pour protéger l’environnement, aux différentes échelles concernées.

Conclusion

Le secteur associatif offre un certain nombre d’atouts indéniables pour participer à la prévention des incivilités environnementales, en particulier le secteur de l’éducation relative à l’environnement.

Les outils et les méthodes proposant de développer la sensibilité à l’égard de l’environnement peuvent contribuer à créer le socle affectif indispensable pour motiver une personne et l’amener à adopter des comportements plus respectueux du cadre de vie et de la vie sur terre.

De même, les outils et les méthodes encourageant et facilitant une approche systémique et complexe des problématiques sociales et environnementales pourront être valorisés.

Enfin, la maitrise des méthodes participatives peut également venir en appui à une mise en projet de groupes restreints ou à l’organisation d’actions de grande ampleur.

Notes

  1. Analyse publiée sur le site de l’Institut d’Eco-Pédagogie : http://institut-eco-pedagogie.be/spip/spip.php?article526

  2. behaviour = comportement, conduite ; le behaviourisme est, en psychologie, une méthode fondée sur l’observation des comportements.

Pour aller plus loin

Dossier « incivilités environnementales » réalisé par l’IEP pour les enseignants chargés du cours d’éducation à la philosophie et à la citoyenneté au 1er degré du secondaire, comportant une partie théorique et une partie pratique – à paraitre en 2019. Disponible sur le site internet de l’IEP.

Formation sur demande (1 ou 2 jours), pour groupes de 10 à 18 personnes.

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