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L’engagement en éducation relative à l’environnement : une triple responsabilité associative ?

Une analyse de Kim Tondeur - Décembre 2018

  • Icone de thématique Écomilitance

Ces derniers mois auront été l’occasion pour l’équipe de l’Institut d’Eco-Pédagogie (IEP) de réfléchir aux valeurs défendues par l’association et ses membres, au sens de notre pratique et à l’identité de notre association. Parmi d’autres questions, celle de l’engagement de l’IEP, inséparable du débat sur son identité, fut parmi les plus discutées. Qui sommes-nous et que voulons-nous accomplir ? Quelle est la portée de notre engagement associatif ? Cet engagement est-il d’ordre militant ? Et quels sont les outils dont nous disposons pour stimuler et éduquer à l’écocitoyenneté critique, en faveur d’une société socialement et écologiquement juste ? Ces questions, nous ne sommes pas les seuls à nous les poser en Éducation relative à l’Environnement (ErE). Au travers de cette analyse, notre but n’est pas d’apporter une réponse « clé sur porte » mais plutôt de contribuer à un débat large sur le sens de l’engagement en ErE en partageant les réflexions de l’IEP à ce sujet.

Thématiques

  • Engagement
  • Responsabilité associative
  • Identité de l’ErE

Pour entamer la réflexion

  • Travailler dans le secteur associatif, un travail comme un autre ?
  • Quelles formes prend mon engagement associatif pour un changement écosocial ?

Ailleurs en ErE, que dit-on ?

Il y a deux ans, le CRIE de Liège organisait l’annuelle journée inter-CRIE autour de la question « l’animateur en ErE est-il un militant ? » ; une thématique choisie collégialement par l’ensemble des équipes CRIE et qui visait à interroger une série de thématiques (militantisme, résistance, transformation, enjeux, etc.) et d’explorer quelques formes possibles de l’engagement en ErE (de la manifestation au plaidoyer politique en passant par l’éducation à la résistance). Plus tôt dans la même année, c’est le magazine Symbioses qui éditait un numéro sur le thème de « résister et apprendre », touchant à des sujets comme la résistance à l’école, le burn-out, les actions directes de désobéissance civile et les désormais célèbres Zones À Défendre (ZAD). Et d’autres numéros thématiques témoignaient d’un même intérêt pour l’actualité politique et sociale : ErE et milieux précaires, accélération effrénée de nos rythmes de vie, migrations… En 2016 toujours, le Réseau Idée lançait également avec succès la campagne commune « Et pour vous, ça compte ? » qui visait à interroger tant la richesse de l’ErE que sa précarité financière en contexte néolibéral d’austérité économique. Autant d’évènements qui attestent du questionnement d’un secteur aux prises avec son identité, le sens et les formes de son engagement, son financement, ses rapports avec le(s) pouvoir(s) subsidiant(s) et, finalement, son rôle à jouer dans les processus citoyens et institutionnels qui orientent dès aujourd’hui la société de demain.

À l’étranger, certains acteurs tels que les chercheurs du Centr-ErE de l’Université du Québec à Montréal se positionnent régulièrement en faveur d’une meilleure prise en compte de la dimension politique de l’ErE [1]. En Belgique, par contre, malgré les questionnements évoqués ci-dessus, l’ErE reste un secteur peu combatif qui semble fuir tant l’évidence politique de son action que celle de son objet éducatif. Christophe Dubois (2016b : 3) faisait récemment un constat très critique à ce propos :

« […] Les associations d’Éducation relative à l’Environnement (ErE) non plus ne préparent pas fréquemment à la contestation. Certes, la plupart d’entre elles éveillent les consciences, développent chez les jeunes et moins jeunes un regard critique sur notre monde et ses dérèglements, donnent l’envie de changer les choses. Elles leur proposent des pistes d’actions, individuelles le plus souvent, positives si possible. Mais combien abordent la question des rapports de forces inégaux – aussi en matière d’environnement – et tentent de les rééquilibrer ? Combien osent l’action politique ? Combien accompagneraient un groupe qui manifesterait, même pacifiquement, le désir de contester une décision, voire de désobéir à l’autorité ? Beaucoup fuient le conflit. Certaines associations d’ErE se sont même vues décréter l’interdiction de manifester […] Pourtant, un projet éducatif est un projet politique, qu’on le veuille ou non. L’éducation est un puissant moyen de contrôle social, tant par ce qu’elle fait que par ce qu’elle ne fait pas. L’ErE est une opportunité pour affirmer ce caractère politique de l’éducation. »

Si la question de l’engagement et du militantisme en ErE est débattue, la perspective d’une prise de position claire sur le sujet peut à raison en effrayer plus d’un·e. De par l’ampleur de la tâche, d’une part, qui nécessite une réflexion stratégique, en équipe, et dès lors de prendre du temps là où il nous en manque déjà dans un monde où tout s’accélère (Réseau Idée 2016). De par le risque d’une telle entreprise, ensuite, dans un secteur aux moyens structurels faibles et dont la subsistance dépend fortement de ses relations (in)formelles au pouvoir subsidiant. Pour cette double raison, il y a fort à penser que les événements et publications évoqué·e·s ci-dessus ne représentent que la part la plus visible de l’iceberg : entre stages nature et découverte des champignons, l’ErE s’interroge sur la portée et la direction de son engagement.

Une contribution au débat : l’engagement associatif auquel aspire notre équipe

Au travers de cette analyse, notre but n’est pas d’apporter une réponse « clé sur porte » de type « voici ce qu’il faut faire et ne pas faire en matière d’engagement en ErE ». Il s’agit plutôt de contribuer à un débat large sur le sens de l’engagement en ErE en partageant les réflexions de l’IEP à ce sujet. Au fil de nos discussions, entre débat sur le militantisme et constats parfois amères des réalités de terrain s’est en effet dessiné ce que représente pour nous l’engagement associatif en ErE. Ou, à défaut, celui auquel nous aspirons.

Cet engagement qui nous anime est avant tout porté par « l’espoir que peut soulever l’imaginaire d’une réalité transformée » (Sauvé 2015 : 9). Celui d’un monde qui fermerait ses centrales nucléaires, par exemple. Mais aussi, dans certains cas, l’espoir d’une réalité préservée : il s’agit entre autres de protéger la sécurité sociale ainsi que les acquis en faveur de l’environnement. Plus de 30 années d’actions et réformes néolibérales en Belgique, en Europe et dans le monde nous ont enseigné que liberté, dérégulation ou « développement durable » ne riment pas d’emblée avec émancipation écosociale, décentralisation et écocitoyenneté. Nous visons un avenir plus juste, mais restons vigilants face aux changements et progrès tous azimuts !

Cet engagement auquel nous aspirons est donc un engagement conscient. Conscient aussi des valeurs qui l’animent et des contraintes qui le limitent. En portant sur elle-même un regard réflexif, l’association engagée s’efforce constamment de s’émanciper de cette part d’identité qui lui est imposée. Imposée par son héritage propre, par le contexte culturel et la percolation des valeurs individualistes et de marché dans le monde associatif, ou encore par le jeu subsidiaire belge qui place de facto la société civile dans une position paradoxale entre résistance et coopération, notamment au pouvoir subsidiant. « L’identité détermine et stimule les sphères d’engagement, de même que l’expérience de l’engagement confronte ou consolide et forge l’identité) » (Sauvé 2015 : 7). Notre engagement se veut conscient de cette double relation.

L’engagement à l’IEP envisage de surcroît deux facettes, complémentaires l’une à l’autre. La première consiste à porter sur les dynamiques de notre société une réflexion critique ; une déconstruction continue capable d’éclairer nos choix de tous les jours. Dans une perspective d’éducation relative à l’environnement, il s’agit non pas de s’intéresser à la seule vie de la cité, mais d’élargir cet intérêt pour le vivre-ensemble à l’environnement tout entier : « notre maison de vie partagée entre nous humains, mais aussi avec toutes les autres formes et systèmes de vie ». Le social, la démocratie et la citoyenneté s’enrichissent d’une dimension écologique (Sauvé et Van Steenberghe 2015 : 9). Vis-à-vis de nos publics, lecteur·rice·s et/ou adultes en formation, cet engagement se décline par la volonté de communiquer cet intérêt et de mettre en questionnement, de bousculer et d’inviter à la prise de conscience autant des réalités structurelles qui orientent nos actes quotidiens que des conséquences de ces derniers.

Du fait de la conscience que nous avons des réalités institutionnelles, politiques et économiques – mais aussi culturelles – qui permettent mais aussi contraignent notre action associative, notre engagement associatif reconnait l’impossibilité d’une cohérence de tous les instants entre position critique et choix pratiques, et en ce sens décharge chacun·e d’entre nous (tout comme nos publics), idéalement du moins, du poids de la culpabilité qui peut émerger d’un tel décalage. Il s’agit avant tout d’être conscient de nos choix et de leurs impacts, même si nous savons que, dans ses choix, nous n’avons pas toujours les coudées franches.

Néanmoins, une volonté de cohérence entre engagement en pensée et engagement en actes doit animer et guider notre travail associatif, à la manière d’une éthique de vie. En ce sens, cette éthique doit aussi être l’occasion de réfléchir aux pistes d’actions (de résistance ou d’innovation) capables d’élargir notre liberté d’agir et de gagner en cohérence (et nous aide à définir les thématiques que nous travaillons ainsi que les méthodes employées à cet effet). La volonté de protéger et de repousser l’horizon de nos possibles (comme celui de nos publics) implique d’emblée un engagement solidaire avec les autres associations du secteur, pour l’autonomie de l’ErE et la liberté associative en général.

L’engagement en actes constitue la seconde facette de notre engagement associatif. La simple prise de paroles, le débat d’idées et l’éducation de nos publics à la réflexion critique ne se suffisent pas toujours à elles-mêmes. Il faut aussi se battre. L’IEP se veut être acteur de changement. Dans le fonctionnement quotidien de notre association. Mais aussi de manière ponctuelle, sur des sujets d’urgence politique, institutionnelle, économique, etc. que nous jugeons peu voire non-négociables. Il en est ainsi des mesures qui promettent d’entraver ou de fragiliser davantage le travail associatif (par exemple : la réforme du dispositif APE, la réforme du droit des asbl, etc). Ici, notre engagement critique se meut en une action combative qui peut prendre sur le terrain des formes multiples. Du fait d’une actualité défavorable au travail associatif en ErE et au-delà, nous envisageons également la possibilité que ces actions deviennent de plus en plus nécessaires et, par conséquent, de moins en moins ponctuelles.

Enfin, l’engagement associatif de l’IEP reconnait la responsabilité de l’association à garantir à ses travailleur·euse·s un cadre de travail sain et bienveillant. Comme le rappelait Nicolas Bossut, l’histoire du secteur associatif est aussi celle d’une relation intime entre travail et engagement militant ; une proximité à double tranchant. Force motrice un jour, elle peut devenir source d’inconfort pour les travailleur·euse·s. Car « la volonté d’aider et d’avoir un impact concret sont autant de qualités dont dispose généralement le travailleur social et qui l’empêchent bien souvent d’être à l’écoute de ses propres limites » (Bossut 2017). Du « comment dire non ? » au burn out, le risque est réel et d’autant plus présent que (1) s’accroissent la fracture sociale et les désastres environnementaux et que (2) diminuent – simultanément – les moyens accordés à la société civile pour porter et faire entendre des solutions alternatives. La responsabilité de l’institution à protéger les travailleur·euse·s malgré elleux est donc bien réelle. Outre d’outiller l’équipe de manière à ce qu’elle ait les moyens logistiques et intellectuels de défendre ses valeurs, il s’agit d’assurer le respect des horaires et d’éviter autant que faire se peut toute surcharge de travail. Mais aussi, bien sûr, de respecter la vie privée de chacun·e : nul·le n’est tenu·e en dehors des heures de travail à une adéquation de chaque instant aux engagements de l’association (Bossut 2017).

Au-delà de ces réflexions, certaines questions restent en gestation et invitent à des discussions ou analyses futures. Parmi celles-ci : quelle liberté et marge de manœuvre des travailleurs associatifs face à au positionnement institutionnel (dans le cadre d’une formation par exemple) ?

Conclusion : une triple responsabilité associative

De nos débats d’équipe sur le sens et la portée des activités de l’IEP se dégage, finalement, une approche particulière de l’engagement. Celle-ci repose sur une triple responsabilité associative. Une responsabilité intellectuelle, d’abord : il s’agit, au moyen d’un regard réflexif porté sur notre propre association ainsi que sur le secteur de l’ErE et, plus encore, sur le secteur du travail associatif et non-marchand, d’identifier le cadre (institutionnel, idéologique, culturel, politique, logistique, etc.) qui limite notre capacité à porter comme à imaginer les changements pédagogiques et écosociaux. Cette réflexivité est la base d’un travail rigoureux. Une responsabilité environnementale et sociale, ensuite, qui désigne la volonté d’élargir le champ des sensibilités écosociales, de stimuler les questionnements et la prise de conscience et de « dynamiser la capacité de changement » que recèlent en eux nos publics (Hilgers 2006 : en ligne). Avec au premier plan le concept d’écocitoyenneté, c’est la nécessité morale de mettre nos publics en mouvement. Une responsabilité institutionnelle, enfin, bien ancrée dans la réalité du présent, à protéger les travailleur·euse·s face à leur propre engagement.

Si cette approche nous est propre, l’ambition, en la communiquant, est bien de contribuer à l’émergence d’échanges et de débats sur le sens de l’engagement en ErE. Un lieu de discussion qui, à nos yeux, devient de plus en plus important et urgent.

Notes

  1. Voir notamment les volumes 7, 9 et 12 de la revue Éducation Relative à l’Environnement. Regards – Recherches – Réflexions.

Pour aller plus loin

Bossut, Nicolas, 2017. « Le travailleur social, un militant incompris », Bepax. Dialogue & Diversité, en ligne. Consulté le 11 Septembre 2018.
URL : http://www.bepax.org/publications/analyses/le-travailleur-social-un-militant-incompris,0000892.html

Dubois, Christophe, 2016. « L’animateur en ErE est-il un militant ? », Infor’Idée, 3, pp. 1-2.

Dubois, Christophe, 2016b. « Résister, c’est apprendre », Symbioses, 110, p 3.

Hilgers, Mathieu, 2006. « La responsabilité sociologique : retour sur l’entreprise critique de Pierre Bourdieu », Recherches Sociologiques et Anthropologiques, 37 (1), en ligne. Consulté le 11 Septembre 2018.
URL : https://journals.openedition.org/rsa/607

Réseau IDée, 2016. Où trouver le temps ? Bruxelles : Symbioses.

Sauvé, Lucie et Etienne Van Steenberghe, 2015. « Identités et engagements. Enjeux pour l’éducation relative à l’environnement. Éditorial », Education Relative à l’Environnement. Regards – recherches – réflexions, 12, pp. 7-14.

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