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Les professionnel.le.s de l’ErE : militant.e.s, activistes, ou en militance ? Quel mot choisir pour qualifier notre engagement ?

Une analyse de Kim Tondeur - Décembre 2018

  • Icone de thématique Écomilitance

Le militantisme, c’est quoi, ça, finalement ? Ce mot n’est-il pas d’hier ? Aujourd’hui, on parle plus volontiers d’activisme et de militance ! Dans cette analyse, nous nous tournons vers l’éducation permanente, un secteur qui revendique depuis toujours son souffle militant, pour interroger ces différents mots de l’engagement. Trop souvent utilisés comme étant interchangeables, il semblerait que ces derniers renferment en eux des réalités d’action et d’engagement bien différentes. In fine, plus qu’un simple débat sur les mots, ce bref travail d’analyse invite à explorer les différentes formes de l’engagement associatif et, plus encore, à interroger, à la lumière de ces réflexions, les finalités de l’Éducation relative à l’Environnement (ErE).

Thématiques

  • Militantisme
  • Vocabulaire
  • Histoire

Pour entamer la réflexion

  • Que m’évoquent les termes militantisme, militance et activisme ? Pourquoi ?
  • Les finalités de l’ErE : un engagement ‘en actes’ ou comme ‘façon d’être au monde’ ?

Le militantisme, c’est quoi, ça, finalement ? Ce mot n’est-il pas d’hier ? Aujourd’hui, on parle plus volontiers d’activisme et de militance ! Dans cette analyse, nous nous tournons vers l’éducation permanente, un secteur qui revendique depuis toujours son souffle militant, pour interroger ces différents mots de l’engagement. Trop souvent utilisés comme étant interchangeables, il semblerait que ces derniers renferment en eux des réalités d’action et d’engagement bien différentes. In fine, plus qu’un simple débat sur les mots, ce bref travail d’analyse invite à explorer les différentes formes de l’engagement associatif et, plus encore, à interroger, à la lumière de ces réflexions, les finalités de l’Éducation relative à l’Environnement (ErE).

L’équipe de l’Institut d’Éco-Pédagogie (IEP) s’interroge depuis plusieurs mois sur la portée sociale et politique de l’ErE qu’elle entend porter. Lors de notre mise au vert, un mot parmi d’autres déclenchait passions et interrogations : le militantisme. Si certains de nos formateur·rice·s perçoivent volontiers leur profession comme animée d’un souffle militant, d’autres voient d’un œil sceptique, voire frileux, ce terme belliqueux chargé de sens et d’histoire. « Si nous ne sommes pas militants alors je ne comprends pas pourquoi je fais mon métier ! » s’exclamaient les premiers. À l’inverse, s’il ne fait aucun doute que nous sommes là pour porter un projet de société, parler de militantisme évoquait chez les seconds un dangereux oubli de soi au travail, une surdose de stress et des heures supplémentaires interminables qui débordent sur la vie privée. Pour d’autres enfin, militantisme rimerait quelque peu avec dogmatisme …

Curieusement, effacer du flipchart de nos échanges le mot « militant », sans pour autant en retirer la définition qui l’accompagnait, permettait de mettre tout le monde d’accord. De quel sens est donc chargé ce terme qui nous « chatouille » tant ? Désigne-t-il une forme d’engagement spécifique ? Et quelles différences avec l’activisme ou, plus proche encore, la militance, qui semblent faire moins peur ? Pour tenter d’éclairer ces interrogations et de mieux saisir ces différentes expressions, nous avons décidé de nous tourner vers le champ de l’éducation permanente : derrière le sens des mots se cache parfois l’histoire des choses…

Que nous enseigne le champ de l’éducation permanente sur l’engagement militant ?

Forte d’une histoire qui s’écrit dans le creuset des luttes sociales, et soutenue par un décret digne de ce nom, l’éducation permanente en Belgique revendique depuis toujours son énergie militante. Au même titre, d’ailleurs, qu’elle se pose depuis plusieurs années la question de son renouvellement. Du fait de la salarisation de son activité initialement bénévole ou de charité (et donc le rapprochement avec les pouvoirs subsidiants), d’une part, et dans le contexte actuel d’une précarisation du travail associatif et d’un rapprochement de plus en plus grand avec le secteur moins combatif de l’insertion socio-professionnelle, d’autre part.

En cela, l’histoire comme l’actualité de l’éducation permanente sont riches d’enseignements pour l’ErE. À commencer par la distinction utile entre militantisme, activisme et militance ! Loin d’être de vulgaires synonymes, ces termes semblent plutôt témoigner d’une reconfiguration – à la fois réelle et fantasmée – des formes de l’engagement au cœur du travail associatif…

Pour comprendre ceci, il faut s’intéresser avec Edgar Szoc (2010) et Lillian Mathieu (2008 : en ligne) à ce que journalistes et sociologues qualifient volontiers de « renouveau du militantisme » : au schéma de lutte marxiste, universel, qui se définissait en creux d’un adversaire commun bien identifié et opérait avant tout depuis la sphère du travail se serait substitué – dans le dernier cadran du XXe siècle, une logique de l’« agir ici et maintenant », par le bas, en mobilisant des réseaux larges et flexibles en faveur de causes locales et diversifiées. Ainsi, dit Szoc, les baisses de régime, d’inventivité et de plaisir qu’accuse le militantisme « traditionnel », au mieux incarné par les partis et syndicats, se sont vues compensées par une explosion des causes de l’engagement – féministe, pacifiste, anti-nucléaire et écologique, anti-raciste, altermondialiste, etc. (une réalité qui contredit par ailleurs les discours trop faciles sur la perte de vitesse de l’engagement citoyen). Mais aussi par une reconfiguration des modes d’action et d’organisation des militant·e·s : aux piliers et familles politiques se sont succédées ONG et associations de tout poil, non pilarisées, aux « nouvelles formes d’engagement moins totalisants, mois entiers, moins exclusifs, moins…absolus » (Gotto 2007 : en ligne) [1]. Formes d’engagement qui sont par ailleurs devenues incontournables du fait du progrès des revendications féministes et de l’évolution de nos modes de vie. Plus question de s’engager corps et âme dans la lutte, sans compter les heures, lorsque les deux conjoint·e·s travaillent et se partagent désormais – plus qu’avant du moins – les tâches de la maison et l’organisation de la vie de famille !

Pour les deux auteurs, c’est cette transformation et l’échec d’une articulation entre militantisme syndical et société civile qui explique la distinction souvent établie entre militantisme à l’ancienne et activisme nouveau. Comme le décrit Mathieu (2008 : en ligne), « le premier se caractériserait par un investissement intense dans la cause, à laquelle une large part de la vie familiale et des loisirs serait sacrifiée : réunions plusieurs soirs par semaine, distribution de tracts et vente du journal le dimanche, auxquels s’ajouteraient cotisations élevées, docilité à l’égard de la hiérarchie et fort attachement identitaire au mouvement (parti, syndicat…). Le second se singulariserait à l’opposé par les fluctuations de l’engagement, conçu comme ‘à la carte’ : chacun choisirait ses propres rythmes, degrés et modalités de participation au groupe, et se méfierait comme de la peste des structures bureaucratiques hiérarchisées perçues comme menaçantes pour son autonomie et sa liberté ».

Si l’engouement actuel pour l’activisme et les pratiques de désobéissance civile est indéniable (qu’on pense aux parades Tout Autre Chose, aux actions Greenpeace ou aux bien sympathiques interventions de l’Ensemble Zoologique de Libération de la Nature, etc.) les deux auteurs invitent toutefois à questionner cette opposition quelque peu stéréotypée. Pour son manque de précision historique d’abord, puisque le monde militant n’a pas attendu les années 1980 pour faire acte d’identités et d’engagements pluriel·le·s. De même que les organisations altermondialistes et les collectifs d’activistes n’ont ni stoppé toute forme de « militantisme total » ni abandonné toute logique hiérarchique aujourd’hui. Pour le danger politique qu’elle représente, ensuite, puisque la valorisation incessante du « nouveau militant » représente aussi un risque d’invisibilisation et de stigmatisation des classes populaires et ouvrières associées aux anciens modes d’organisations militantes. Car force est de constater que les éclats médiatiques et bariolés de l’activisme contemporain opposent aux manifestations et grèves traditionnelles des ressources « sociales, linguistiques et culturelles qui ne sont pas parmi les plus équitablement partagées » (Szoc 2010 : 6). Qui plus est, « Lilian Mathieu relève également que l’utopie de l’horizontalité, de la décentralisation et de la spontanéité n’efface en rien les effets de pouvoir mais contribue plus simplement à les occulter : tout le monde n’étant, par exemple, pas égal, devant la prise de parole publique, que ce soit en ‘assemblée libre’ ou ailleurs. » (Szoc 2010 : 6).

La militance, un militantisme par projet ?

Dans un registre similaire, Anne-Martine Henkens (2017) s’interroge sur les écarts sémantiques entre militantisme et militance, deux termes trop souvent perçus comme interchangeables. Les deux mots prennent bien entendu racine dans le même verbe latin militare – être soldat, faire son service militaire – et dont le substantif ‘militant’ acquit au fil des siècles le sens plus large de celui qui lutte pour ou contre une cause ou idéologie, payant en cela de sa personne. Mais les deux termes varient significativement de par leur suffixe ! Faisant son entrée dans les dictionnaires courant 1990, la milit-ance désigne avant tout un résultat, une « action, concrète, tangible : on adhère ou on s’oppose à tel type de militantisme, mais on entre en militance en posant des actes précis ». À l’inverse, le militant-isme désigne tant l’activité des militant·e·s qu’un « courant de pensée, un type d’attitude […]. L’accent n’est donc pas mis sur l’individu mais sur quelque chose de plus général à quoi il veut se raccrocher ».

Pour Henkens, l’apparition récente du mot militance – qui reçoit dans la vie associative un écho certain – est donc bien à comprendre dans le contexte d’une opposition entre ‘militant·e à l’ancienne’ et ‘nouvel·lle activiste’ « à la démarche assez différente, qualifiée de libérale […]. L’individualisme de la société et le désenchantement idéologique poussent de plus en plus de gens à s’engager ponctuellement pour des causes précises et concrètes. Ces personnes se mobilisent selon leurs besoins et aspirations du moment, mais cette mobilisation ne s’inscrit pas forcément dans la durée » (Gotto, cité par Henkens 2017 : 5).

Conclusion : par delà les mots de l’engagement, interroger les finalités de l’ErE

Alors, militant ou pas militant, le travail en ErE ? Dans le monde associatif, l’activisme et la militance semblent sortir vainqueurs de ce duel de mots et de sens. Mais Anne-Martine Henkens (2017 : 5) nous met en garde : « la militance ainsi définie ne serait-elle pas étroitement dépendante de la conjoncture sociale et de ses impacts sur les individus ? ». Le travail associatif ne s’exposerait-il pas, dès lors, à une perpétuelle soumission aux urgences et impératifs de l’actualité, se présentant face à elle orphelin de toute tradition intellectuelle, pratique et stratégique ? Des traditions qui, nourrissant le militantisme d’hier, pourraient pourtant renforcer l’engagement aujourd’hui.

D’un point de vue éducatif, il n’est pas compliqué de voir en quoi cette brève réflexion sur les mots nous invite également, plus profondément, à interroger les finalités de l’ErE. Voulons-nous inspirer un « engagement en actes », ponctuel et en situation, ou un « engagement comme disposition, comme façon d’être au monde » ? [2].

 

Kim Tondeur

Notes

  1. C’est typiquement le cas des associations environnementales (mais aussi des associations musulmanes, noires et des minorités ethnoculturelles ; voir Tondeur 2016).

  2. Ces expressions sont de Lucie Sauvé et Etienne Van Steenberghe (2015 : 8).

Pour aller plus loin

Henkens, Anne-Martine, 2017. « Militance vs. Militantisme, ou quand l’histoire des mots raconte l’histoire des choses », Analyses de l’IHOES, 169, pp. 1-5.

Mathieu, Lilian, 2008. « Un ‘nouveau militantisme’ ? À propos de quelques idées reçues, Contretemps. Revue de critique communiste, en ligne. Consulté le 12 Septembre 2018.

URL : https://www.contretemps.eu/nouveau-militantisme-propos-quelques-idees-recues/

Sauvé, Lucie et Etienne Van Steenberghe, 2015. « Identités et engagements : enjeux pour l’éducation relative à l’environnement. Éditorial », Education Relative à l’Environnement. Regards – recherches – réflexions, 12, pp. 7-14.

Szoc, Edgar, 2010. « Le militantisme : combien de divisions ? », La Chronique de crise de la Ligue des Droits de l’Homme, 141, pp. 4-6.

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